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Violences à Trappes : éclatement au grand jour d’une fracture sociale en France ?

Les scènes d’émeutes survenues à Trappes (Yvelines) dans la nuit du Vendredi 19 au Samedi 20 Juillet ainsi que l’important dispositif policier mis en place par la suite ont été relayés par l’ensemble des médias français. Malheureusement, par manque de temps ou simplement parce que ce n’est ni dans leurs habitudes et par voie de conséquence ni dans celles des téléspectateurs, nos médias se sont contentés de nous montrer les images de ces violences et les réactions du Ministre de l’Intérieur, venu sur place, Manuel Valls.

Rappelons l’étincelle qui a mis le feu à la poudrière francilienne : Vendredi 19 Juillet, un banal contrôle d’identité sur une femme portant le voile intégral tourne mal. Son mari s’interpose entre les agents de police et l’épouse par crainte que ces derniers ne lui fassent du mal. C’est le seul point où les deux parties sont d’accord. La version de l’époux (racontée ici sur un plateau-télé local) diffère radicalement de celle des policiers. Alors que Mickaël (le mari) explique qu’il n’a rien fait d’autre que de s’interposer devant des policiers violents (coupables d’avoir poussé sa belle-mère selon lui), le procureur de la République affirme que le jeune homme de 21 ans a tenté d’étrangler un policier, ce qui lui a valu un passage au commissariat. C’est à partir de ce contrôle d’identité assez tendu que la situation à Trappes va dégénérer et que plus de 150 jeunes vont littéralement assiéger le commissariat où était retenu Mickaël dans la nuit de sa garde vue, avec les débordements que l’on connaît.

Tout le monde a compris quelle était la cause de ces débordements : l’interpellation du mari jugée injuste. Il ne s’agit pas de faire ici l’apologie du jeune homme mais simplement de reconnaître la cause visible. Ce n’est néanmoins pas le premier contrôle d’identité à Trappes, ni en France. Il y a déjà eu des cas de contestation assez véhéments également. Cette fois-ci, la situation a vraiment dégénéré au point qu’une ville s’est embrasée pour un contrôle d’identité tendu. Mais la vraie raison de cette poussée de violence ne semble pas si évidente, quand on aborde les évènements avec un peu de recul.

Si ce désormais fameux contrôle a servi de prétexte, les émeutiers, bien que réunis spontanément, n’ont pas pété les plombs d’un coup, pour un évènement isolé. Croire une thèse aussi simpliste serait se voiler la face (sans mauvais jeu de mot). Il semble que les émeutiers aient agi en étant guidés par une colère, une rage longtemps contenue et silencieuse et qui a explosé après un évènement que certains habitants du quartier qualifient comme « l’injustice de trop ». Comme on peut le lire dans cet article du Nouvel Observateur, les habitants du quartier des Merisiers ont peur. Ils ont peur de l’islamophobie qui règne en France selon eux. D’après leurs témoignages, ils se sentent pour la plupart exclus.

Des faits (en partie) causés par l'exclusion sociale

Exclus socialement d’abord : les conditions de vie n’y sont pas mirifiques (doux euphémisme) et trouver un emploi apparaît encore plus difficile qu’ailleurs, comme l’illustre le taux de chômage (données de 2009) proche de 15% (contre 11% en France en moyenne en Avril 2013) dans cette ville des Yvelines. Voilà deux caractéristiques que l’on retrouve pour de nombreuses banlieues, franciliennes ou provinciales. Sans faire un cours de sociologie, il faut garder à l’esprit que le travail est un formidable créateur de lien social, ce lien qui unit les individus entre eux et les faits vivre ensemble. Un jeune du quartier des Merisiers est rapidement conscient que ses perspectives d’avenir ne sont pas roses, surtout s’il reste à Trappes. Pas question ici d’affirmer que ses chances de réussite socio-professionnelle sont nulles : votre serviteur croit toujours au rêve d’ascenseur social grâce au succès scolaire. Mais il n’est pas dupe non plus. On peut objectivement affirmer que le jeune moyen du quartier des Merisiers part avec un handicap scolaire pouvant se transformer en handicap professionnel, et donc social, par rapport à un jeune plus aisé. Et pour paraphraser Jean-Jacques Goldman, « à coup de livres » il peut franchir tous ces murs que constitue ce handicap de lieu de naissance et pour lequel il n’a rien demandé. Il le peut mais avec un équilibre familial stable et avec un environnement favorable, des personnes qui le poussent à s’en sortir et lui permettent de s’épanouir. Sans toutes ces composantes, le puzzle de sa réussite s’apparentera plus à un Rubik’s Cube quasi insolvable.

Il me paraît important de souligner cet aspect sociologique que les médias n’ont pas pris le temps d’aborder en détail mais qui permet de prendre du recul par rapport aux images, qui empêche de réagir en se basant seulement sur le dégoût et l’atterrement que peuvent provoquer les actes des émeutiers. Que les choses soient claires : ces violences ne sont pas tolérables, et ce billet n’en fait pas l’apologie. Simplement, afin de mieux comprendre ces actes violents, j’ai la sincère conviction que le regard sociologique est nécessaire pour éviter tout biais. Il est nécessaire pour empêcher le téléspectateur moyen de penser que « ces gens-là » sont des sauvages « pas comme nous », différents par de nombreux aspects.

Là est le second nœud du problème à Trappes : la dimension religieuse des évènements. Tout part d’ailleurs d’une action d’un policier dans le cadre du respect de la loi qui stipule « que nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Il s’agit ici de faire respecter le caractère laïc de l’espace public en France. D’ailleurs, Mickaël et sa femme, tous deux convertis à l’Islam, ne s’opposent pas au contrôle d’identité lorsque celle-ci porte un voile intégral dans la rue. Or, selon les témoignages des habitants du quartier des Merisiers, le problème est l’islamophobie présente en France et qui les touche selon eux de plein fouet, notamment lors de ces contrôles acceptés mais jugés par certains comme discriminants.

Il ne s’agit pas de faire ici un jugement de valeurs sur la religion ou sur la laïcité. Il apparaît néanmoins que certains des habitants de ce quartier se sentent exclus socialement et que ce sentiment est renforcé par leur différence religieuse comparée à la majorité de la population française. Ce sentiment peut alors pousser ces habitants à se replier vers leurs pairs, vers ceux qui partagent la même confession et la même (difficile) réalité sociale au quotidien. Et ainsi, à creuser encore plus leur exclusion sociale. Pour lever tout amalgame, ceci n’est pas propre à la confession musulmane : c’est le cas de toute minorité religieuse dans un pays dont les habitants ou leurs parents ont en majorité été élevés selon les valeurs chrétiennes. Mais nous nous intéressons au présent et au cas précis de Trappes, qui, selon moi, pourrait avoir des points communs avec d’autres villes françaises.

Quelles pistes pour éviter de nouveaux "Merisiers" ?

Ainsi, le but réel de ce billet est d’inviter le lecteur à se poser des questions, à développer ses réflexions et à remettre en cause ce qui peut paraître comme une évidence au premier abord. Est-ce que l’islamophobie touche la France entière ? Si oui, elle semble apparaître comme un réel facteur d’exclusion sociale face à une culture encore récente dans l’histoire de l’Hexagone. Est-ce que l’unique solution est d’envoyer des forces de l’ordre pour contenir les débordements dans ce genre de situation ? Ne pourrait-on pas plutôt essayer d’agir en amont et tenter de dissiper le malaise ambiant qui touche ces quartiers, d’empêcher les désillusions de ces jeunes ?

Je vois d’ici le sourire perplexe de certains : de belles intentions, mais quels moyens concrets pour les mettre en œuvre ? Il n’y a pas de solution miracle : on ne transformera pas Trappes et ses consœurs en havres de paix où s’épanouit la grande majorité des ressortissants à travers le travail, la réussite sociale et pour finir le sentiment d’accomplissement de soi propre à la pyramide des besoins de Maslow (pour les plus intéressés par ce concept, voir ici). Ne tombons pas dans un optimisme angélique mais penchons plutôt vers un optimisme pragmatique. Regardons ailleurs, observons les pays où l’intégration sociale pour les minorités pauvres est la plus poussée. Bien qu’écorné par les récentes émeutes en Suède, l’idéal du modèle scandinave demeure porteur d’espoir : l’individu s’y développe et s’y épanouit grâce à l’éducation et, par voie de conséquence, le travail lorsqu’il entre dans la vie active. Si l’individu va à l’école en ayant la plus forte conviction qu’il développe son capital intellectuel et qu’il peut ainsi trouver l’entrée vers une vie meilleure, pour lui mais aussi pour ses enfants auxquels il transmettra ce goût d’apprendre, cette volonté de réussir et de s’accrocher malgré les handicaps sociaux à la base, alors la situation du jeune moyen des Merisiers aura de grandes chances de s’améliorer. Plus important encore selon moi, à travers la possibilité de l’ascenseur social offerte par l’école, ce jeune connaîtra l’espoir et n’adoptera ainsi plus un comportement comme celui des émeutiers de Trappes. C’est pourquoi l’éducation doit redevenir un réel sujet d’actualité et que tout doit être fait pour améliorer le système français. C’est dans cet espoir-là que Vincent Peillon et ses successeurs doivent s’atteler à redonner le goût d’apprendre et d’espérer aux écoliers actuels et aux générations futures. Et que l’on permette au Ministre de l’Education de mettre en œuvre ses propositions, plutôt que de rester dans la contestation permanente malgré des résultats toujours plus alarmants.

Article rédigé par Stéphane Chopin

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