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Entre la chancelière Angela Merkel (à gauche) et son rival socialiste Peer Steinbrück, le contraste est saisissant. (© Presseurop.eu)

Entre la chancelière Angela Merkel (à gauche) et son rival socialiste Peer Steinbrück, le contraste est saisissant. (© Presseurop.eu)

L’image ci-contre illustre parfaitement le fossé séparant les deux principaux protagonistes des élections fédérales allemandes. D’un côté, on note le calme placide et la force tranquille d’Angela Merkel, toute puissante Chancelière et championne des conservateurs (CDU/CSU). De l’autre, le doigt d’honneur de Peer Steinbrück résume l’audace et la volonté de changement du candidat socialiste (SPD). Quel contraste ! Pourtant, malgré cette opposition de style et des différences de fond majeures, la possibilité d’une coalition entre les deux partis allemands les plus influents demeure. Perspective pour le moins intrigante qui mérite notre attention.

A) Un système électoral complexe mais équilibré

Commençons par le commencement : le système électoral allemand diffère grandement de son homologue français. Les Allemands ne possèdent en effet pas une mais deux voix. Pour le site « Les rattrapages de l’actu », Charline Vasseur décortique de façon très claire la procédure :

« Les 62 millions d’électeurs allemands se rendent aux urnes pour apposer deux croix sur leur bulletin de vote. Avec leur première voix (Erststimme), ils choisissent un nom, c’est-à-dire le candidat en circonscription qu’ils voudraient voir représenter leur région au Bundestag [c’est-à-dire le parlement fédéral allemand]. C’est ce que l’on appelle le mandat direct (Direktmandat). Avec leur deuxième voix (Zweitstimme), les électeurs déterminent le rapport de force entre les partis au Bundestag. Ils votent pour une liste affiliée à un parti et présentant des têtes de liste. »

La deuxième voix de l’électeur allemand est particulièrement décisive. En effet, si le Bundestag doit compter au minimum 598 députés, le nombre de sièges n’est jamais connu à l’avance. Etant donné la complexité du processus, la simplicité de l’explication d’Arnaud Focraud du JDD est un atout pour mieux comprendre cette répartition.

« La moitié des sièges seront attribués par un scrutin uninominal direct à l'échelle des circonscriptions. L'Allemagne en compte donc 299. Le candidat arrivé en tête, même s'il n'atteint pas les 50%, est élu. Pour leur deuxième vote, les électeurs se prononcent pour une liste présentée par les partis dans chaque Land (Etat régional), au nombre de 16. Cette voix est beaucoup plus importante car c'est ce vote qui détermine la répartition de l'ensemble des sièges. Sont prises en compte ans ce calcul les formations qui récolteront au moins 5% des voix au niveau national. »

Prenons un exemple concret avec la Bavière, qui est représentée par 90 députés au niveau fédéral (45 élus dans les circonscriptions et 45 élus sur les listes). Si le CSU obtient 40% des voix sur le deuxième vote, il bénéficiera de 40% des sièges parmi les 90 en jeu, c’est-à-dire 36. S'il a récolté 30 des 45 circonscriptions, il obtient 6 autres élus issus des listes. Il existe une particularité : s'il remporte plus de circonscriptions que de sièges auxquels il a droit (par exemple 40 sur les 36), il peut conserver ces mandats supplémentaires (appelés Überhangmandate). En conséquence, cela peut éventuellement augmenter le nombre de députés au Bundestag !

B) Angela Merkel donnée favorite mais pas à l’abri d’une surprise

Si tous les sondages donnent la victoire à la CDU et son parti-frère propre à la Bavière, la puissante CSU (qui a gagné les élections législatives bavaroises dimanche dernier), cela ne signifie pas pour autant qu’Angela Merkel pourrait gouverner avec des alliés aussi fidèles qu’actuellement. Les élections législatives de 2009 ont débouché sur la formation d’une coalition noire-jaune, c’est-à-dire d’une alliance entre la CDU/CSU et le parti libéral-démocrate, le FDP (pour Freie Demokratische Partei). Autrefois un parti dominant, le FDP connaît une colossale chute de popularité. Menés par Rainer Brüderle, dont les supposées méthodes de séduction rappellent les accusations envers un éminent personnage politique français, les libéraux flirtent dangereusement avec la barre des 5% de votes au Bundestag.

La barre des 5% impose à tous les partis de récolter au minimum 5% des suffrages pour entrer au Bundestag. Si un parti ne passe pas cette barre, il peut tout de même siéger au Bundestag s’il obtient au minimum 3 mandats directs. Quel est l’intérêt d’instaurer cette contrainte ? Il s’agit d’un héritage du passé national-socialiste allemand, où l’émiettement des partis au sein du Bundestag avait participé à l’effondrement du SPD et des partis modérés. 

Si le FDP venait à rater la barre des 5 %, la CDU de Merkel n’obtiendrait vraisemblablement pas la majorité seule. Créditée d’environ 41 % des voix, elle est et restera la formation politique majeure de l’Allemagne. Voyons quelles coalitions sont envisageables en cas de défaillance des libéraux.

Une grande coalition, c’est-à-dire entre la CDU/CSU et le SPD, semblerait alors se dessiner. Rappelons que l’Allemagne a connu cette alliance entre 2005 et 2009. D’ailleurs, le ministre des Finances du gouvernement Merkel n’était autre que Peer Steinbrück, le candidat SPD actuel pour la chancellerie. Les autres scénarii paraissent improbables pour des raisons diverses résumées ici.

Si une coalition entre le SPD et Les Verts satisferaient les deux partis majeurs de la gauche allemande, il est probable qu’ils ne dépassent pas en cumulé les 40 % de voix. Cette hypothèse est donc à écarter.

Les Verts, troisième force politique allemande et donc arbitre de ces élections, pourraient théoriquement nouer une alliance avec la CDU. Bien que moins importante qu’autrefois (grâce notamment à l’abandon du nucléaire suite à la catastrophe de Fukushima en Mars 2011), la séparation idéologique reste marquée entre un parti jeune, progressiste et un autre conservateur en de nombreux points. Exit la coalition « noire-verte ».

Enfin, le SPD a refusé de gouverner avec le parti d’extrême-gauche Die Linke, pourtant crédité de 8 à 10 % des voix. Malgré les appels du pied du Mélenchon local, le charismatique Gregor Gysi, les sociaux-démocrates déclinent toute alliance avec un parti non-modéré.

Au final, si la victoire de la CDU et donc d’Angela Merkel pour un troisième et sans doute dernier mandat ne fait presque aucun doute, il n’y a aucune certitude sur la solidité de la future coalition au pouvoir. Le score du parti libéral représente le facteur X de ces élections. Si le FDP obtient 6 à 8 % des voix, on retrouverait une coalition noire-jaune similaire à celle actuellement en place. S’il échoue à passer la barre des 5 %, la CDU ne pourra plus gouverner avec autant d’aisance qu’au cours des quatre dernières années. C’est dans cette perspective que l’avenir européen à court terme pourrait alors connaître un net changement de cap.

C) Vers une Allemagne plus souple envers ses voisins européens ?

Dans le cadre d’une alliance entre la CDU et le SPD, le gouvernement Merkel devrait quitter sa ligne conservatrice et néo-libérale sur les questions économiques européennes, ce qui réjouirait de nombreux observateurs européens, à commencer par votre serviteur.

Si l’Union Européenne regroupe désormais 28 Etats depuis l’adhésion de la Croatie en Juillet 2013, la crise financière de 2008 a conduit le couple franco-allemand - le fameux Merkozy – sur le devant de la scène. La qualité de l’entente entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel est bien sûr à souligner. Toutefois, les succès du duo (le sauvetage de l’euro au plus fort de la crise en premier lieu) ne doivent pas masquer l’overdose d’austérité qui a suivi. En effet, le choix de l’austérité est venu de l’Allemagne avant d’être appuyé par le gouvernement français. La baisse des dépenses publiques dans le but d’éviter une explosion des dettes des Etats était logique mais s’est finalement révélée fortement contre-productive.

En Septembre 2013, qui peut de sang-froid affirmer que l’Union Européenne se porte bien ? Regardons simplement les chiffres du chômage en Europe. Ils reflètent une Europe du Nord riche où le chômage est relativement faible et une Europe du Sud fragile - vers laquelle la France tend désormais - où les taux de chômage ne sont pas acceptables.

 

Le tableau ci-dessus, fourni par Eurostat, présente les taux de chômage des 28 Etats de l’Union européenne. Force est de constater que le quintet en queue de peloton (Portugal, Croatie, Chypre, Espagne et Grèce) se compose de pays de l’Europe du Sud. Pour ces pays, la situation est dramatique : la récession frappe durement et l’absence d’emploi détruit littéralement les vies des individus les plus modestes touchés par le chômage, de par la destruction des liens sociaux inhérents au travail.

En quoi peut-on rendre l’Allemagne (en partie) responsable de cette situation ? Le catalyseur de la cure d’austérité connue par l’Europe depuis 2009 n’est autre que la ligne dure des pays à très bonne santé économique, comme l’Autriche, le Luxembourg mais surtout l’Allemagne, dont le poids diplomatique européen est immense.

Bien sûr, votre serviteur n’est pas économiste et ne peut convaincre entièrement dans ce domaine. Les plus libéraux d’entre vous pointeront du doigt les gestions scandaleuses en Grèce et diront à juste titre qu’il fallait enrayer la spirale négative touchant ce pays. Mais quelle est la limite du prix humain à payer ?

Si la doctrine néo-libérale domine actuellement, des néo-keynésiens comme Paul Krugman possèdent un côté humaniste (mais pas sentimentaliste) qui offre une solution plus à même de lutter contre le chômage, qu’il évoque de façon plus détaillée dans son dernier livre (un régal de simplicité et de pertinence), End This Depression Now. Cet économiste reconnu et ultra populaire, prix Nobel d’Economie 2008, tient une tribune au New York Times. En Février 2012, il alertait déjà sur les méfaits de l’austérité en Europe. Il précise la ligne allemande :

« Voyons ensuite la version allemande, qui affirme que c’est tout le mal provient d’une irresponsabilité budgétaire. Cette version semble correspondre à la situation de la Grèce, mais à personne d’autre. »

En suivant la ligne allemande, pour éviter cette irresponsabilité budgétaire, il faut rogner dans les dépenses vues comme superflues, c’est-à-dire les dépenses publiques, surtout celles destinées à aider les plus modestes. L’austérité comme solution miracle, alors ? Comme le montre le tableau d’Eurostat, on constate que les problèmes de chômage sont toujours là. Donc que l’austérité en récession ne fonctionne pas. Au contraire, elle aggrave la situation des pays les plus en difficulté. Et Berlin est directement responsable de cette ligne d’austérité, bien que légèrement adoucie depuis quelques temps.

De par son rôle central, l’Allemagne peut et doit aider à combattre plus efficacement le chômage en Europe. En une phrase, Paul Krugman propose une initiative allemande qui ne pourrait qu’améliorer la situation de l’emploi dans les pays européens en difficultés.

« L’Allemagne pourrait aider à la résolution des problèmes en renonçant à sa propre politique d’austérité et en acceptant une inflation plus élevée, mais cela ne se produira pas. »

Pour cela, il faudrait compter sur une coalition avec les socio-démocrates. Que proposent les volets européens des programmes de la CDU et du SPD ? Pierre-Antoine Kléthi décrypte les points les plus importants de la politique européenne des deux partis allemands les plus puissants dans un article pour le blog « Au Café de l’Europe ».

D) Une grande coalition : un espoir pour l'Europe entière

Si une coalition CDU-SPD voyait le jour, Angela Merkel devrait sans doute faire d’importantes concessions sur le volet européen. Et tant mieux ! On assisterait à une politique plus souple de la part de Berlin envers les pays européens les plus touchés dans le sens où une plus grande marge de rigueur budgétaire serait tolérée. Cela permettrait aux Etats de reprendre certains programmes d’aide envers les plus démunis ou du moins de ne pas rogner leurs fonds, tout en s’efforçant de ne pas provoquer de nouvelle crise budgétaire à la grecque, bien sûr.

Par manque de place, il est impossible d’évoquer ici dans le détail en quoi la politique européenne du SPD et plus particulièrement son volet économique seraient une bénédiction pour l’Europe. Pour les plus intéressés, l’article d’Au Café de l’Europe est parfait. Voici un extrait qui résume les grandes lignes de ce programme économique :

« Le SPD affirme que la stabilité et la prospérité ne peuvent pas reposer uniquement sur ​​la discipline budgétaire, mais exigent aussi de la croissance et de l’équité. Il souhaite un retour complet à l’« économie sociale de marché ». Il appelle également à une meilleure régulation des marchés et des banques. »

Ces ambitions ne vous rappellent rien ? Elles sont très similaires à celles énoncées par François Hollande lors de sa campagne de 2012. Ainsi, logiquement, le couple franco-allemand, plus que jamais moteur vital de l’Europe, renforcerait son entente. Et par voie de conséquence, l’Europe du haut pousserait plus dans le même sens. Cette harmonisation des politiques économiques est précisément ce qui manque aux Etats européens pour sortir durablement de la récession qui frappe depuis cinq longues années. C’est pourquoi une coalition entre la CDU et le SPD pourrait vraiment changer la donne en Europe, et en bien.

Nous vous invitons à suivre autant que possible les résultats des élections législatives allemandes dès Dimanche soir, mais également dans les jours qui viennent pour voir la portée des mandats supplémentaires de députés. Si les citoyens allemands sont les seuls à voter pour ces élections, ce sont bien tous les citoyens européens qui sont concernés par l’avenir de l’Allemagne. Pour l’Europe, le changement, c’est peut-être maintenant.

 

Article rédigé par Stéphane CHOPIN.

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