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Comment intervenir en Syrie ? Notre proposition.

Ce billet a pour objectif de proposer une solution à la situation en Syrie. Il est évident que ce n’est pas l’unique solution possible. Malgré tout, nous allons tenter de vous expliquer tous les facteurs, tous les éléments qui influencent cette prise de position de notre part. Cette proposition sera bien évidemment argumentée, mais elle relève d’une réflexion personnelle, et donc elle est forcément subjective. Retenons juste une chose, qui est propre aux relations internationales : toutes les solutions sont mauvaises, mais certaines le sont moins que d’autres.

Objectif principal : mettre fin au conflit syrien, en limitant au maximum les conséquences internationales (notamment au Proche-Orient), en restreignant au maximum les victimes et en proposant une issue politique.

1) Réunion des documents et des preuves attestant de la culpabilité du régime d’Assad dans les attaques au gaz.

La France et les Etats-Unis mettraient en commun les « preuves » qu’ils déclarent détenir, et proposeraient un document détaillé aux membres du conseil de sécurité. Une fois ce travail effectué, les pays demanderaient une réunion d’urgence du conseil de sécurité afin de convaincre les diplomates russes. Ces derniers demandent depuis longtemps des preuves « convaincantes ». Il s’agirait là de persuader définitivement Vladimir Poutine, pour débloquer un premier veto du Conseil de Sécurité. Cette première entreprise permettrait aux occidentaux de répondre à la requête russe. Il se peut néanmoins que les russes continuent de nier la responsabilité du régime d’Assad, et qu’ils maintiennent leur veto. A partir de là, la position de la Chine reste difficile à définir concrètement. Deux décisions sont possibles : la nation décide que les preuves sont convaincantes, et retire son veto, ou la diplomatie chinoise estime que les arguments ne sont pas suffisants, et maintient le blocage du Conseil, privilégiant ainsi ses intérêts en Syrie. Les motivations d’un tel acte seraient les suivantes : soutenir l’allié russe et s’opposer de manière quasi systématique à l’ennemi diplomatique que représentent les Etats-Unis.

2) Combiner la « responsabilité à protéger » et la résolution 377 (3 novembre 1950) de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Si les preuves avancées par la France et les Etats-Unis s’avèrent être convaincantes pour la Russie, un problème subsiste : le veto de la Chine. Il s’agirait alors d’arguer sur la « responsabilité à protéger ». Il est moralement nécessaire d’intervenir face à l’utilisation d’armes strictement prohibées par la communauté internationale. L’histoire a connu de nombreux massacres ; certains restent tristement célèbres, les plus récents étant le massacre au gaz sarin des Kurdes irakiens à Halabja en 1988 ou encore le génocide ethnique commis contre la population musulmane de Bosnie à Srebrenica en 1995. Alors, au nom de la morale et de l’histoire, il faut que celui de Damas commis le 21 août ne reste pas impuni. Mais pour intervenir, l’opinion publique demandera une raison légale. Celle-ci est contenue à travers la résolution 377 de l’ONU, comme expliqué ici :

« [L’Assemblée générale] décide que, dans tout cas où parait exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression et où, du fait que l’unanimité n’a pas pu se réaliser parmi ses membres permanents, le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa responsabilité principale dans la maintien de la paix et de la sécurité internationale, l’Assemblée générale examinera immédiatement la question afin de faire aux Membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre, y compris, s’il s’agit d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, l’emploi de la force armée en cas de besoin, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. Si l’Assemblée générale ne siège pas à ce moment, elle pourra se réunir en session extraordinaire d’urgence dans les vingt-quatre heures qui suivront la demande présentée à cet effet. Pareille session extraordinaire d’urgence sera convoquée sur la demande soit du Conseil de sécurité par un vote affirmatif de sept quelconques de ses membres soit de la majorité des Membres de l’Organisation. »

De manière simple, la règle invoquée ci-dessus ne prend effet que dans un cadre particulier :

Paralysie du Conseil de Sécurité en raison de veto.

Le texte est assez clair : si le Conseil choit face à ses responsabilités, l’Assemblée générale prend le relais et se rend elle-même compétente sur les questions de paix et de sécurité. Cette dernière pourrait donc être saisie par un Etat Membre afin de donner des recommandations pour établir la paix en Syrie. Il faut, pour la mettre en œuvre, que le secrétaire général (le sud-coréen Ban Ki-Moon) convoque une session spéciale d’urgence sur demande d’un État Membre ayant la majorité de l’Assemblée générale avec lui. La Chine et la Russie s’y opposeraient très certainement ; mais comme toutes les conditions sont réunies pour invoquer cette règle, les pays occidentaux pourraient obtenir une résolution permettant une intervention. Les conditions de légalité seraient donc réunies, et permettraient de légitimer une décision politique au travers du droit international. L’intervention en Syrie, quelle que soit son efficacité, serait alors bien plus acceptable pour les opinions publiques de la collectivité internationale.

3) Définir les modalités d’une intervention : comment faire face aux difficultés et aux conséquences d’une réplique ?

Nous serions donc désormais dans un cadre légal, avec une résolution onusienne authentique. Les pays qui hésitaient, préférant obtenir l’aval des Nations Unies, peuvent désormais s’engager légalement : s’ajouteraient ainsi à la France, aux Etats-Unis et à la Turquie, l’Italie, l’Espagne, et le Brésil. Voici plusieurs scénarii envisageables :

  • Bombardements des alliés depuis la méditerranée : c’est la forme d’intervention qui semble la plus envisagée à l’heure actuelle, car au niveau financier, ce serait la forme d’agissement la moins coûteuse. Les présidents Hollande et Obama, ainsi que le reste des pays formant la coalition, éviteraient ainsi d’envoyer des troupes au sol. Le risque d’embourbement des soldats occidentaux est écarté, un minimum de risque humain est pris. Néanmoins, de tels bombardements peuvent toucher des civils, même si l’armée américaine prétend effectuer des frappes « chirurgicales » (comprenez « précises ») sur des installations militaires. Par ailleurs, si les entrepôts d’armes chimiques et les installations pour les lancer sont visés, la réaction logique du régime sera de distribuer et de disperser l’arsenal restant aux troupes pro-Assad. Conséquences : la montée en escalade de la guerre, car l’armée aurait encore de quoi répondre face aux alliés, même pour une courte période. De surcroît, les pertes civiles ne seraient pas limitées mais bel et bien accentuées.

  • Intervention directe sur le territoire syrien : opérer de cette sorte semble être l’hypothèse la moins probable. Il est extrêmement difficile de définir une durée d’action (rappelons que la guerre d’Irak a duré plus de dix ans, ce qui n’était pas prévu), et les soldats déployés seraient soumis à un plus grand danger. La France a déjà perdu sept hommes au Mali, elle souhaiterait à tout prix éviter de renouveler un tel scénario. La pénibilité de la guerre est elle aussi inconnue : on se souvient de la difficulté des opérations menées par les américains sur le territoire irakien. Ils devaient se méfier en permanence des civils, qui pouvaient être déguisés en terroristes, à tel point que de nombreux engagés ont par la suite souffert de psychoses mentales. Enfin, envoyer des hommes sur le territoire syrien est très coûteux du point de vue financier : la France, déjà soumise à des difficultés économiques, a déjà dépensé plus de soixante-dix millions pour l’opération Serval au Mali.

  • Procurer des armes aux nationalistes et aux rebelles modérés : le renforcement de l’aide aux insurgés pourrait passer par des livraisons à caractère officiels d’armes et de matériel militaire. Le risque d’une mauvaise réception des colis est sérieux ; il faut envisager la possibilité que les armes soient interceptées par des islamistes radicaux, rattachés à Al-Qaïda ou autres mouvements extrêmes. Pourtant, si la communauté internationale renforçait les rebelles modérés, on pourrait envisager que Bachar el-Assad soit chassé du pouvoir et qu’un processus de démocratisation du pays soit mis en œuvre par la suite (en organisant par exemple des élections). Cela constituerait la meilleure solution, bien que les risques de dérives autoritaires ou de retour à un conflit confessionnel ne puissent être écartés définitivement.

4) Entraîner et armer de façon intensive l’Armée Syrienne Libre (ASL), la branche la plus modérée de l’opposition.

L’équation syrienne est très complexe à résoudre : il ne suffit pas de faire tomber le dictateur en place pour que la paix et la démocratie reviennent. A l’heure actuelle, si Bachar venait à prendre la fuite ou être exécuté demain, on assisterait probablement à une prise de pouvoir par des islamistes radicaux proches d’Al-Qaïda, comme le front Al-Nosra dont les actes barbares (décapitations sauvages) et l’extrémisme n’ont rien à envier aux exactions du régime de Damas.

Ce scénario cauchemar est à éviter à tout prix. Par conséquent, plutôt que d’envoyer des soldats sur place pour faire le ménage, une solution plus discrète serait d’infiltrer un nombre plus importants de formateurs occidentaux en Jordanie et en Turquie. Pourquoi dans ces pays voisins de la Syrie, et non pas sur place ? Car le théâtre syrien est véritablement une poudrière. L’Armée Libre Syrienne n’y affronte pas seulement les troupes de Bachar. Elle combat aussi certains groupes djihadistes et subit de lourdes pertes dans ces affrontements. Il faut donc une zone sécurisée pour former à moyen terme – une ou deux années – les combattants les plus modérés.

C’est l’unique solution militaire qui pourrait aboutir à une solution politique favorable. En effet, si l’Armée Libre Syrienne parvient à affaiblir suffisamment le régime de Bachar pour que le dictateur prenne la fuite, alors une transition démocratique pourrait être mise en place. Bien sûr, cela ne signifie pas que les tensions entre sunnites et chiites (entre anti et pro-Assad si on généralise) disparaîtraient du jour au lendemain ni même que la démocratie s’implante durablement en Syrie. Néanmoins, ce serait le scénario le plus à même de placer le pouvoir exécutif entre les mains de modérés, c’est-à-dire ceux dont le potentiel pour la paix et la reconstruction de la société syrienne est le plus élevé. Pour que ce scénario, vivement encouragé par le géopoliticien Frédéric Encel, il est nécessaire que les grandes puissances mondiales se mettent rapidement d’accord.

Nous vous invitons à partager vos opinions dans les commentaires de cet article. Quelle serait selon vous la meilleure solution pour résoudre la crise syrienne ? Estimez-vous qu’il soit déjà trop tard ? Ou pensez-vous au contraire que l’espoir de résoudre le conflit syrien et ainsi d’éviter un embrasement régional (dont les premiers départs de feu sont déjà visibles au Liban) demeure ? Dans tous les cas, nous espérons que notre dossier sur la Syrie aura renforcé votre curiosité et votre intérêt pour ce drame humain et ce problème diplomatique de premier ordre qui met en péril le Proche-Orient mais aussi les relations entre grandes puissances.

Article rédigé par Stéphane CHOPIN et Séverin SCHNEPP

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