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JO de Sotchi : les "Jeux de la honte" ?

Alors même que les médias mondiaux se focalisent sur la question syrienne, et notamment sur la demande de la Russie à Bachar El-Assad de livrer et détruire ses armes chimiques, le président Poutine doit faire face à de nouvelles controverses concernant les Jeux Olympiques d’hiver.

Sotchi est une ville russe située au bord de la mer noire. En concurrence avec deux autres villes (Salzbourg et Pyongyang), la Russie a finalement obtenu le droit d’accueillir ce tournoi sportif majeur. Il devrait se dérouler du 7 au 23 février 2014 et du 7 au 16 mars pour les jeux paralympiques.

Un tel événement permet toujours à un pays d’affirmer son rayonnement dans le monde ; c’est un moyen idéal pour valoriser l’histoire, la culture, la langue, la gastronomie, la géographie et le poids économique de la nation à travers le monde. Vladimir Poutine a donc intérêt à ce que tout se déroule correctement, afin de renforcer l’aura du pays. Pourtant, les problèmes s’accumulent déjà : certains sénateurs américains ont appelés au boycott des Jeux si la Russie accueillait le dissident Edward Snowden, et les russes doivent faire face à des dépenses budgétaires toujours plus importantes pour finir les infrastructures sportives dans les temps. Mais ce qui fait réellement débat, c’est une loi récente qui interdit la « propagande » homosexuelle. Promulguée en juin dernier, elle suscite une vague de contestation dans le monde entier.

L’homosexualité dans la société russe d’aujourd’hui

En juin dernier, la Russie a promulguée une loi discriminatoire, allant à l’encontre de la liberté de conscience. Le texte punit en effet toute « propagande » homosexuelle devant les mineurs. Les individus qui ne respecteraient pas cette loi encourraient jusqu’à 100 000 roubles d’amende (2300 euros) et même des peines de prison.

Le terme de propagande est assez fort dans sa signification : si on en revient à la définition même du mot, l’expression correspond à une « action systématique exercée sur l'opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines, notamment dans le domaine politique ou social » (selon le dictionnaire Larousse). Il ne me semble pas avoir entendu parler d’une quelconque « doctrine politique » venant des homosexuels. Bien au contraire, la seule idée qu’ils défendent c’est la reconnaissance de leur orientation sexuelle, et l’acceptation de celle-ci dans les sociétés occidentales. En aucun cas l’utilisation du mot « propagande » ne semble justifiée dans cette situation.

L’homosexualité en Russie est un sujet tabou. Le pays, très conservateur, a considéré jusqu’en 1993 les gays comme des criminels. Rassurez-vous, à partir de cette date, une évolution majeure a connu le jour : l’homosexualité est devenue une maladie mentale, jusqu’en 1999. Alors évidemment, presque quinze ans après l’abolition de ce principe, cette orientation sexuelle différente n’est pas encore entrée dans les mœurs des Russes. Depuis que la loi de Poutine est entrée en vigueur, le nombre d’agression homophobe est en considérable hausse. Les antigays utilisent notamment les réseaux sociaux pour piéger des homosexuels, souvent jeunes, afin de les battre et de les humilier. L’exemple le plus connu est sans aucun doute la vidéo (visionnée plus d’un million de fois) où l’on voit le militant homosexuel Kirill Kalugin en train de se faire agresser par un groupe de parachutistes de l’armée (cliquez ici pour regarder la vidéo).

Mais revenons au concept même de « propagande homosexuelle » : qu’est-ce que cela signifie concrètement pour les forces de l’ordre ? Dans quelle mesure ont-elles le droit d’intervenir ? Comme vous pouvez vous en douter, la notion n’est pas détaillée dans la loi. Elle se rapporterait à toutes les manifestations homosexuelles (la GayPride entre autre), aux campagnes de prévention, mais aussi au simple fait de tenir la main à votre partenaire dans la rue. En réalité, le flou qui entoure la loi est volontaire : il permet aux individus hauts placés de pouvoir intervenir presque quand ils veulent, sous prétexte de « propagande homosexuelle ». Puisqu’aucune liste ne détaille les cas, la police peut donc intervenir à tout bout de champ, et il serait remarquable qu’elle n’abuse pas de ce pouvoir ! Cette loi liberticide entache un peu plus cette « grande démocratie » dont nous parlait il y a quelques temps Depardieu …

Une loi qui ne passe pas inaperçue dans la communauté internationale

Ce climat homophobe n’est pas passé inaperçu pour les nations qui vont participer aux Jeux. Les athlètes se sont mobilisés pour protester, et certains hommes politiques ont même commencé à appeler au boycott de l’événement.

Au mois d’août, l’interview d’un journaliste américain a créé la stupéfaction dans le studio de la chaîne publique russe « Russia Today » (cliquez ici, pour la vidéo). James Kirchick, contacté au départ pour discuter de l’affaire Bradley Manning, a préféré faire une critique enflammée de la loi homophobe du président russe. Arborant des bretelles arc-en-ciel, il a évoqué « l'horrible climat d'homophobie en Russie en ce moment » et fait « savoir aux homosexuels qu'ils ont des amis qui sont solidaires partout dans le monde, et qui ne seront pas silencieux devant cette terrible répression organisée par un leader européen, par Vladimir Poutine ». Une contestation originale, qui a provoqué la sympathie des mouvements homosexuels du monde pour le journaliste. Même l’acteur britannique Stephen Fry a salué cette initiative « magnifique, claire, articulée, courageuse » sur Twitter : « This is truly magnificent ! Articulate, passionate, brave and JUST what is needed. Three cheers to James !!! ».

Barack Obama a quant à lui totalement désapprouvé cette loi, tandis que David Cameron est monté au créneau contre Vladimir Poutine. Mais en aucun cas ils n’ont appelé au boycott de l’événement, contrairement à certains sénateurs américains, dans le cadre de l'affaire Snowden. Le président Obama a même raillé la Russie dans une interview, en déclarant que « si la Russie n’a pas d’athlète gay ou lesbienne, alors elle affaiblira sûrement son équipe ». Le chef d’Etat russe affirmait mercredi 4 septembre que ses Jeux ne souffriraient d’aucune discrimination : « Vous pouvez être absolument certain que la Russie va respecter scrupuleusement les principes de l'olympisme qui interdisent toute discrimination ». Selon lui, la loi ne va pas à l’encontre des personnes aux orientations sexuelles « non traditionnelles », elle « interdit la propagande des relations sexuelles non traditionnelles, ce qui n’est pas du tout la même chose ». On aimerait bien plus d’explications ! Il justifie cette loi sur la démographie : « Les personnes qui sont à l'origine de cette loi sont parties du principe que les mariages de même sexe ne produisaient pas d'enfants ». Des propos qui nous laissent perplexes, mais n’oublions pas qu’après tout la Russie est considérée comme un « régime autoritaire » selon l’indice de démocratie mesuré par The Economist.

Qu’en est-il de la position française dans tout ça ? La nation se dit « préoccupée » par cette loi. La Ministre des Sports, Valérie Fourneyron, a souligné que notre pays était « très clairement opposé à toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ». A l’issue d’un entretien avec Vitali Moutko (Ministre des Sports de la Fédération de Russie), Mme Fourneyron a donné un compte rendu de la discussion : « J'ai pu dire à mon homologue que la France était préoccupée par l'adoption, la mise en œuvre de la loi russe relative à la propagande sur les relations sexuelles non traditionnelles vis-à-vis des mineurs, qui remet en cause de facto la liberté d'expression de toute personne, qu'elle soit LGBT (lesbienne, gay, bisexuelle, transsexuelle) ou non, qui souhaiterait s'exprimer sur ce sujet ». Des paroles consciencieuses et réfléchies, mais faut-il envisager un boycott ? Une page Facebook « Boycott Sochi 2014 » a déjà été ouverte par la communauté homosexuelle. Ils ont déjà récolté plus de 10 500 signatures afin de discréditer l’événement et (peut-être) faire changer le lieu de ce meeting sportif. La Ministre des Sports, quant à elle, pense « qu'il est plus de notre devoir de continuer les uns et les autres à sensibiliser les autorités russes ».

Charte Olympique ou droit russe ?

Le CIO (Comité International Olympique) a demandé des éclaircissements sur cette loi. La Charte Olympique prohibe toute discrimination de race, de religion ou d’orientation sexuelle. En effet, d’après le sixième principe fondamental du texte, « toute forme de discrimination à l’égard d’un pays ou d’une personne fondée sur des considérations de race, de religion, de politique, de sexe ou autres est incompatible avec l’appartenance au Mouvement olympique ». Voilà donc que le droit mettrait fin au débat et à la polémique, et tout le monde serait satisfait. Quelle utopie ! Le problème réside justement dans le droit en lui-même : quel texte prime ? Celui du CIO, ou celui d’un état souverain comme la Russie ? Tout le problème est là.

Quelle loi la Russie va-t-elle faire respecter pendant les Jeux : la Charte ou le droit russe ? Selon Jean-Pierre Karaquillo, juriste au centre de droit et d’économie du sport à Limoges, « on se trouve (…) dans une situation d'extraterritorialité. Comme l'événement se déroule sous l'autorité du Comité international olympique et qu'il lui appartient, ce sont les règles du CIO qui doivent s'appliquer en priorité. Au moment de sa candidature, le gouvernement du pays concerné doit prendre l'engagement qu'il se conformera à la charte olympique et la respectera, comme le stipule l'article 33 de la charte olympique ».

L'ex-président du comité, Jacques Rogge, est resté très ambigu sur cette loi : « le CIO a reçu par écrit des assurances que la Fédération de Russie va respecter la charte olympique. La Russie est un état souverain, et le CIO ne saurait influencer les affaires souveraines d’un pays. Nous avons dit clairement à plusieurs reprises ce que nous pensons, mais nous sommes limités dans notre pouvoir et dans notre action car nous ne sommes que des invités dans un pays qui organise les Jeux ». Par ailleurs, le Ministre des Sports garde une position ferme, malgré un discours qui se veut apaisant : la loi nationale s’appliquera pour tous, sportifs et visiteurs inclus : « Personne n’interdit à un athlète avec une orientation sexuelle non-traditionnelle de venir à Sotchi, mais s’il se balade dans la rue et commence à en faire la propagande, alors il devra en répondre devant la loi ».

Parallèlement, le vice premier ministre en charge de l’organisation des Jeux Olympiques, Dmitri Kozak, a rappelé dans une lettre que « la Russie s'est engagée à se conformer en tous points à la Charte olympique et à ses principes fondamentaux, conformément au paragraphe six qui stipule que « toute forme de discrimination à l'égard d'un pays ou d'une personne fondée sur des considérations de race, de religion, de politique, de sexe ou autre est incompatible avec l'appartenance au mouvement olympique » ». Décidément, la classe politique russe n’est pas homogène dans ses déclarations, ce qui prouve bien que la loi en elle-même n’est pas suffisamment précise pour ne laisser aucune place à différentes interprétations.

En guise de conclusion, on rappellera que lors des Jeux de Pékin en 2008, des manifestations et des appels au boycott ont éclatés, pour protester contre le non-respect des droits de l’homme, notamment au Tibet. On se souvient encore de ces drapeaux arborant des anneaux olympiques symbolisés par des menottes … Mais tous les pays ont participé aux festivités. Il est peu probable que le CIO retire les Jeux à la Russie, tout comme il est peu plausible que des grandes nations boycottent cette rencontre. Les athlètes se contenteront de contester à leur manière (comme l’athlète suédoise Emma Green, qui portait des ongles arc-en-ciel aux Mondiaux de Moscou). La Russie ne se gênera certainement pas pour réprimer une quelconque « propagande » homosexuelle.

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