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Détruire les armes chimiques syriennes ? Une bonne idée sans garanties solides

Un coup de poker diplomatique de génie. Lundi 9 Septembre 2013, le ministre des Affaires Etrangères russe, Segueï Lavrov, a pris le monde par surprise en proposant de placer l’arsenal chimique syrien sous contrôle international. Il est même allé plus loin en demandant de détruire le stock de Damas et que la Syrie se joigne à la Convention pour l’interdiction des armes chimiques.

L’initiative de Moscou intervient à un moment crucial de la crise syrienne. En effet, le jour-même, les députés et sénateurs américains se réunissaient à Washington D.C. pour débattre sur la possibilité d’une intervention militaire. Barack Obama, qui donnait le Lundi même pas moins de 6 interviews à autant de chaînes différentes, a ainsi dû revoir ses plans. Le débat au Congrès sur les frappes a été reporté et pourrait avoir lieu à partir de la semaine prochaine. Si débat il y a ! La proposition russe offre un certain répit à l’administration Obama, qui affronte le scepticisme d’une opinion publique traumatisée par les guerres en Afghanistan et en Irak mais également la timidité des autres grandes puissances, à l’exception notable de la France.

La pression internationale est retombée d’un coup à la suite de la main tendue des Russes. Toutefois, la prudence est de mise concernant cette proposition. Alléchante sur le papier, elle paraît presque trop belle pour être vraie. Regardons en quoi elle pourrait mener à une résolution politique de la crise syrienne.

A) L'espoir d'une diplomatie enfin efficace

L’avantage le plus important de cette proposition tient dans son caractère légal et a priori sans incidence diplomatique. Plutôt que des frappes militaires qui seraient susceptibles de toucher la population civile, le projet russe devrait en principe se dérouler sans effusion de sang. Il consiste à placer l’intégralité du stock d’armes chimiques du régime syrien sous le contrôle de la communauté internationale. Ban Ki-moon, le secrétaire général sud-coréen des Nations Unies, s’est d’ailleurs montré enthousiaste à l’égard de cette perspective. On le comprend : les frappes militaires envisagées, bien que potentiellement légales au niveau du droit international (voir notre partie sur la « responsabilité à protéger »), auraient défié l’autorité de la Russie et outrepassé le droit de veto russe au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Autant dire qu’elles auraient accru la tension internationale, pourtant déjà à un niveau élevé. Selon la proposition russe, le Conseil de Sécurité voterait donc une résolution pour le contrôle puis la destruction des armes chimiques du régime de Damas. Ce qui équivaudrait à résoudre le problème de base – neutraliser l’arsenal chimique de Bachar – avec des moyens modérés, sans les risques multiples des frappes.

Par ailleurs, la réalisation de la proposition russe symboliserait une victoire de la diplomatie sur le recours à la force. Cela serait très souhaitable et renverrait l’image d’un Conseil de Sécurité capable de compromis et réussissant à travailler ensemble. Exit l’impasse diplomatique, place au succès des Nations Unies ! Les Etats-Unis et la France pourraient rentrer dans les rangs la tête haute, sans avoir eu à céder devant le manque d’entrain des autres puissances. Pour Laurent Fabius, le ministre des Affaires Etrangères de la France, il faut ainsi souligner que la « fermeté paie ». Et donc que la position intransigeante de la France et des Etats-Unis a forcé la main à une évolution de la diplomatie russe, qui avait toujours soutenu le régime de Bachar en s’opposant fermement aux plans des puissances occidentales.

B) Un grand vainqueur : Vladimir Poutine

Enfin, le grand gagnant de cette proposition ne serait pas Bachar el-Assad (même s’il bénéficie d’un cadeau de l’ange gardien russe) mais bien Vladimir Poutine. Comme l’explique parfaitement Arnaud Dubien, directeur de l’observatoire franco-russe, le Président russe a remarquablement manœuvré dans sa gestion de la crise syrienne. Par cette proposition, il se place d’abord comme un pion central de l’échiquier international. En évitant les frappes, il assure un contrôle relatif de la situation syrienne et donc empêche tout chaos que provoquerait un affaiblissement soudain du régime de Bachar. En effet, la Russie n’a aucun intérêt à ce que l’allié syrien tombe, étant donné le rôle de gendarme du Proche-Orient qu’occupe Bachar. Si ce dernier tombait ou devait prendre la fuite, il existe un important risque que des extrémistes sunnites prennent le pouvoir en Syrie.

Or rappelons-nous que la Russie doit elle-même gérer une crise perpétuelle dans le Caucase du Nord, en Tchétchénie notamment où les visages des frères Tsarnaev, poseurs de bombe au marathon de Boston en Avril dernier, sont désormais symboles de martyrs pour les islamistes de la région. Vladimir Poutine ne veut donc en aucun cas que la Syrie devienne un bastion de l’extrémisme sunnite. Et Bachar l’Alaouite (il est donc représentant d’une sous-branche du chiisme, courant de l’islam historiquement opposé à la domination du sunnisme) remplissait à merveille son rôle de stabilisateur du Proche-Orient. Au final, on comprend mieux la position russe sur le dossier syrien. Vladimir Poutine tient tellement à montrer sa bonne volonté de résoudre politiquement le conflit qu’il a même écrit personnellement une tribune hypocrite enthousiaste sur le New York Times pour convaincre l’opinion américaine.

En théorie, la proposition russe résoudrait bien des problèmes et permettrait une réelle avancée sur le plan diplomatique. Pas de quoi sauter au plafond non plus : si elle constituerait un grand pas en avant pour les relations entre le régime et la communauté internationale, il ne faudrait pas rêver trop vite d’une solution politique à la crise syrienne. Il est néanmoins nécessaire de dissiper les illusions provoquées par cette proposition et de s’interroger sur les doutes qu’elle suscite.

C) Une solution sans aucune garantie crédible

Bachar el-Assad et son ministre des Affaires Etrangères, Walid Mouallem, ont accueilli à bras ouverts la proposition russe. Ils affirment leur volonté à mener à bien ce projet et ainsi à donner des garanties à la communauté internationale. Derrière ces discours de façade, de quelles garanties disposent la communauté internationale ?

Tout d’abord, comment faire confiance à un dictateur sanguinaire qui n’a pas hésité à plonger son pays dans le chaos d’une guerre civile pour préserver l’empire commencé par son père Hafez en 1970 ? Comment croire un homme qui a réprimé dans le sang les premières manifestations contre son régime en 2011 ? Quelle confiance accorder à un dirigeant qui brandit la théorie du complot international pour justifier la guerre civile – devenue quasi guerre régionale, notamment avec le Liban – dans son pays ? L’attitude orgueilleuse du despote n’invite pas vraiment à négocier avec un chef d’Etat prêt à tout pour rester en place.

De même, comment s’assurer que Bachar el-Assad livre bien la totalité de son stock d’armes chimiques, que John Kerry a estimé à environ 1000 tonnes ? Mettons-nous dans l’esprit du dictateur l’espace d’un instant : il n’aurait aucun intérêt à réutiliser des armes chimiques pour le moment, sous peine de frappes américaines et françaises, mais qui l’empêcherait d’en garder un petit stock en cas de percée trop importante des rebelles dans Damas ? Ou même plus simplement pour des attaques à très faible ampleur comme il y en a eu tout au long du conflit ? Les rebelles possèdent eux aussi de quoi lancer des attaques chimiques à très faible ampleur : impossible alors d’accuser le régime de Damas en cas de petite attaque chimique. En résumé, il n’y a aucun moyen d’être sûr que Bachar el-Assad livrerait son stock entier à la communauté internationale. Dans la même idée, des frappes militaires américaines et françaises ne donneraient pas non plus la garantie que le régime syrien ne puisse plus lancer d’attaque toxique.

Dans quelles conditions le stock d’armes chimiques serait-il placé sous contrôle international et détruit ? Pourrait-il être déplacé en Jordanie ou en Turquie par exemple ? Selon Jean-Pascal Zanders, spécialiste belge du désarmement, il ne faut pas compter sur cette option. Les agents chimiques seraient détruits en Syrie. Outre le fait que le régime syrien présente autant de garanties de confiance qu’on possède de chances de gagner à l’Euromillion, la Syrie est actuellement le théâtre d’une guerre violente où la sécurité d’aucun individu ne peut être correctement assurée. Ainsi, comment ne pas penser que des rebelles islamistes comme le front Al-Nosra n’essaieraient pas de s’emparer du stock d’armes chimiques ? Imaginons un instant que le scénario cauchemar se produise : la situation serait alors bien pire qu’à l’heure actuelle, avec des risques qu’Al Qaeda récupère les substances toxiques et les utilise ensuite dans des attaques terroristes. Encore une fois, ce risque rend la proposition russe bien trop audacieuse et trop hypothétique.

Enfin, toujours selon M.Zanders, détruire le stock syrien pourrait prendre trois ans, voire plus. Une durée bien trop élevée pour être sûr de l’efficacité de la mesure et éviter que le régime ou les rebelles les plus radicaux n’utilisent à nouveau gaz sarin ou gaz moutarde. Les difficultés logistiques inhérentes à la destruction d’armes chimiques sont aggravées par la situation chaotique de la Syrie. En 2004, en Libye, pour détruire seulement 25 tonnes de gaz moutarde (à comparer avec l’estimation de 1000 tonnes en Syrie), M.Zanders relève déjà d’importants problèmes. Pourtant, cette opération ne représente rien comparée à celle envisagée par la diplomatie russe.

Si l’on peut saluer l’initiative russe d’un point de vue diplomatique, la prudence est de mise quant au succès d’une telle opération de désarmement chimique, en supposant que le Conseil de Sécurité passe une résolution pour confirmer cette proposition. En effet, les garanties de réussite sont bien trop faibles par rapport aux risques encourus par les agents de l’Organisation d’interdiction des armes chimiques qui superviserait l’opération. Le scénario catastrophe d’une capture des substances toxiques par des rebelles extrémistes créerait ainsi un terrible échec pour la communauté internationale et plongerait un peu plus le Proche-Orient dans le chaos. Sans parler des nouvelles tensions entre les pro-interventions, les « neutres » et la Russie …

Article rédigé par Stéphane CHOPIN.

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