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Pour l'intervention de la France en Syrie : 3 arguments favorables

Trouver une solution à la guerre civile syrienne relève désormais du miracle. Le conflit, dont l’origine remonte à Mars 2011 dans la continuité du printemps tunisien (pour une chronologie complète des évènements en Syrie, voir l’excellente frise de Rue89.com), gagne en intensité et menace non plus la seule population syrienne, mais également toute la région du Proche-Orient. Depuis l’attaque chimique du 21 Août 2013, les grandes puissances ont décidé de se pencher sérieusement sur la question syrienne et de ne plus laisser le régime de Bachar el-Assad agir impunément. « Enfin ! », a-t-on envie de dire ! En effet, il aura fallu l’horreur des images d’un massacre à l’arme chimique pour que la communauté internationale envisage de sanctionner Bachar el-Assad autrement que par de graves mais inefficaces déclarations.

Mais n’est-il pas déjà trop tard pour intervenir, maintenant que le régime reprend du terrain et que les rangs des rebelles sont composés en majorité de groupes armés islamistes, maintenant que le Hezbollah, le parti politique et bras armé chiite au Liban (et plus fidèle allié de la République islamique d’Iran) a envoyé ses combattants soutenir Bachar ? En bref, maintenant que la révolution syrienne est proche de basculer vers un embrasement régional ?

Mieux vaut tard que jamais. Même si intervenir dès la première année du conflit aurait permis d’épargner de nombreuses vies et surtout de placer rapidement des rebelles modérés au pouvoir en remplacement du dictateur Bachar el-Assad (qui, par ses exactions, reprend le flambeau laissé par son père Hafez durant ses trente années de règne), il faut sauver ce qui peut encore l’être. Il faut sauver le peuple syrien d’une issue dramatique au conflit : la répression confessionnelle. Il faut éviter l’embrasement du conflit et ne pas laisser s’installer une guerre ravageant le Proche-Orient. Enfin, il est de notre avis qu’on ne peut permettre à un chef d’Etat d’attaquer sa population, encore moins par le moyen d’armes chimiques, prohibées par les conventions internationales.

La « ligne rouge » définie il y a plus d’un an par Barack Obama a été allègrement franchie par le régime de Damas. Ne rien faire, refuser d’intervenir par peur de représailles, serait un message catastrophique pour la paix mondiale. Cela signifierait qu’un dictateur pourrait agir impunément au 21ème siècle. Dans un monde ultra connecté où les informations peuvent être connues de tous et très rapidement grâce à Internet et à une époque de soulèvements pour plus de démocratie et plus de respect des libertés individuelles, les exactions d’un Bachar el-Assad ne peuvent plus être dissimulées. Intervenir militairement, même par le biais de frappes ciblées qui ne feraient pas basculer du jour au lendemain l’issue du conflit, permet de lancer un message à tous les régimes autoritaires : il y a des limites que ces derniers ne peuvent dépasser.

Ayons à l’esprit que la possible intervention en Syrie n’est pas parfaite, qu’elle n’a sans doute pas la bonne forme et qu’elle arrive très certainement trop tard. Cette intervention serait avant tout symbolique. Même si le G20 de Saint-Pétersbourg confirme que les grandes puissances tremblent à l’idée d’une intervention, la France doit prendre ce risque. Le pays des droits de l’Homme ne peut rester impuissant devant le drame humain en Syrie. Bien sûr, un refus du Congrès américain laisserait la France seule. Même si Paris dispose de la puissance militaire pour lancer seule ses frappes sur les installations du régime, le géant américain est le meilleur allié pour que cette intervention obtienne une portée symbolique suffisante. Sans intervention, la communauté internationale créerait indirectement une terrible jurisprudence Assad, celle d’un dictateur usant d’armes chimiques en toute impunité. Personne ne souhaite cela. C’est pourquoi il est légitime que la France intervienne, malgré les risques que cela comporte. Voyons ensemble les principaux arguments qui étayent cette prise de position.

A - Une intervention d’ordre moral

A la différence de la révolution tunisienne de Janvier 2011 où le Président Ben Ali a rapidement pris la fuite vers l’Arabie Saoudite, Bachar el-Assad est depuis le début du conflit déterminé à ne pas laisser le pouvoir. S’il partait, son départ signerait l’arrêt de mort de la dynastie des Assad. Bachar bénéficie du soutien de l’armée et de la police, dont les effectifs sont recrutés quasi exclusivement parmi la communauté alaouite depuis l’arrivée au pouvoir d’Hafez en 1970. De plus, la famille Assad a rapidement bâti un régime autoritaire. Ses méthodes de répression systématique de toute opposition ont certainement rassuré Bachar lorsque les premières manifestations ont eu lieu début 2011. Pour résumer, l’empire répressif construit d’abord par Hafez puis prolongé par Bachar présentait de solides garanties pour mater la contestation assez rapidement.

Néanmoins, les hommes de Damas n’ont jamais cherché à apaiser la situation, au moins en apparence. Quitte à attirer l’attention de la communauté internationale, Bachar voulait surtout éviter un scénario à la Ben Ali, à la Moubarak et surtout pas à la Kadhafi. De toute façon, l’ange russe couvrait Bachar au Conseil de Sécurité de l’ONU. Mais la Russie se trouve désormais dans une impasse. Elle ne peut tolérer l’usage d’armes chimiques, totalement interdit depuis la Convention sur l’interdiction des armes chimiques en vigueur depuis 1997. Moscou ne peut qu’accuser les Etats-Unis et la France d’accuser trop rapidement le régime, sans preuves suffisantes. Selon la Russie, les « terroristes » rebelles pourraient très bien avoir lancé l’attaque pour fomenter un complot international contre Bachar. Cependant, selon tous les experts, les rebelles ne disposent pas de l’arsenal nécessaire pour lancer une attaque de cette ampleur. Rappelons qu’entre 281 et 1300 personnes ont perdu la vie dans cette attaque chimique du 21 Août. Le nombre de morts est par lui-même choquant, la manière utilisée par le régime est quant à elle moralement révoltante. Elle rappelle le massacre de Halabja, commis par les troupes de Saddam Hussein en 1988 à la fin du conflit irako-iranien. La crédibilité de la communauté internationale avait d’ailleurs été sérieusement entachée devant le peu de protestation malgré la violence du massacre des Kurdes. Cette question de crédibilité de la communauté internationale et donc de celle des Nations Unies reste d’actualité avec le conflit syrien.

B - Sauvegarder la crédibilité des Nations Unies

Rapportée à la question syrienne, cette notion de crédibilité dépend beaucoup des déclarations des chefs d’Etat des grandes puissances et du Secrétaire général de l’ONU, le sud-coréen Ban Ki-moon. Ce dernier s’est dit opposé à une intervention militaire, redoutant qu’elle ne bloque l’éventualité d’une solution politique. Mais quelles sont actuellement les chances d’aboutir à une solution politique ? La communauté internationale s’est efforcée depuis deux ans de trouver cette solution politique et s’est heurtée à l’intransigeance du dictateur Bachar et à l’indéfectible soutien de son allié russe, Vladimir Poutine. Selon toute vraisemblance, cette solution politique est impossible dans les conditions actuelles du conflit. Le moyen le plus sûr d’y parvenir un jour ou l’autre est d’affaiblir le régime de Damas afin de forcer Bachar et ses proches à renoncer au pouvoir.

François Hollande et David Cameron ont bien compris que négocier avec Bachar revient à parler à un mur. C’est pourquoi ils ont tous deux plaidé pour une intervention ciblée, dans le but de détruire les armes permettant au dictateur de lancer ses attaques chimiques. Si le second a été désavoué par son Parlement, le premier peut légalement confirmer sa décision interventionniste en dépit d’un refus des parlementaires français après un éventuel vote, en vertu de l’Article 35 de la Constitution.

Il semble impossible que la voie diplomatique permette de sanctionner le régime de Damas. La Russie et la Chine, en tant que membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies, utilisent en effet systématiquement leur droit de veto pour bloquer toute résolution onusienne menaçant directement Bachar el-Assad et son gouvernement. Devant cette impasse diplomatique, les grandes puissances s’étaient jusqu’alors tues et observaient, impuissantes, le massacre syrien. Le droit de veto constitue la limite la plus visible des Nations Unies. Il empêche l’organisation et ses Etats membres d’agir efficacement pour la paix notamment lorsqu’une intervention est nécessaire. Néanmoins, ce veto a déjà été contourné dans l’Histoire, pour de vraies réussites comme lors de l’intervention de l’Otan au Kosovo en 1999. Utiliser la jurisprudence kosovare, comme le résumait Madeleine Albright, serait d’un point de vue légal « une action illégale mais légitime » compte tenu du drame humanitaire en Syrie. Cette formule paradoxale illustre la conviction que les grandes puissances démocratiques doivent parfois outrepasser les obstacles légaux du droit international lorsqu’ils estiment que cela est nécessaire pour sauver de nombreuses vies. Et aussi sauver la crédibilité des Nations Unies qui apparaissent plus que jamais impuissantes à résoudre le conflit syrien. Les blocages entraînés par le droit de veto des membres du Conseil de Sécurité doivent par ailleurs appeler à une réforme profonde du fonctionnement des Nations Unies. En effet, à l’heure actuelle, les seuls réels décideurs sont les 5 membres permanents du Conseil (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Chine et Russie). Ces cinq pays étaient dominants à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale. La situation a depuis fortement changé, avec la montée en puissance du Japon ou de l’Allemagne par exemple. Ainsi, les pouvoirs actuels des membres permanents apparaissent démesurés et le veto n’est pas un outil très démocratique …

C - « La responsabilité de protéger », outil juridique en faveur de l’intervention

Dans sa tribune sur le site Newsring, Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences Po Paris et expert géopolitique reconnu, invoque l’argument juridique qui justifie selon lui une intervention en Syrie. Cette facette juridique vient ainsi compléter l’aspect moral avancé par les interventionnistes en lui offrant une légitimité légale. Son explication de la « responsabilité de protéger » est limpide et mérite d’être reproduite ici.

« En 2005, l’Assemblée générale des Nations Unies a voté une résolution très importante qui se réfère à la « responsabilité de protéger ». Il s’agissait d’une résolution qui intervenait après toute une série de crimes contre l’humanité, notamment en ex-Yougoslavie dans les années 1990, et surtout après le génocide des Tutsi Rwandais en 1994. Cette résolution a été votée à l'unanimité, ce qui est extrêmement rare.

Et cette « responsabilité de protéger » revient à l’organe exécutif de l’ONU, qui est son Conseil de Sécurité, lieu de rapports de forces éternels entre pays. Le droit de veto accordé aux cinq membres permanents n’est que trop connu. N’empêche qu’avec cette résolution, on dépasse la dimension morale seule, pour entrer dans le droit et la justice internationale. C’est ce qui a été appelé le droit ou le devoir d’ingérence. Et actuellement, il y a un devoir d’ingérence en Syrie. »

La crise syrienne est devenue rapidement une vraie crise humanitaire, avec plus de deux millions de civils exilés principalement en Turquie et en Jordanie, sans moyens ou presque. Et que dire des Syriens non-combattants qui ont tenu à rester chez eux et sont pris au piège, mourant de faim quand ce n’est pas sous les balles ou en inhalant du gaz sarin ? Le devoir d’ingérence est ainsi particulièrement justifié et aurait même dû être invoqué bien plus tôt par François Hollande. La France peut invoquer ce devoir d’ingérence pour intervenir en Syrie et neutraliser l’arsenal le plus dangereux de Bachar.

Ces principaux arguments interventionnistes ne sont pas des vérités générales. Ils reflètent simplement l’angle d’attaque des pro-interventions. Même si l’intervention en Syrie vous semble une hérésie, il est toujours utile d’observer les arguments du camp adverse dans un débat. Ce billet reflète l’opinion de son auteur mais n’a pas vocation à changer les mentalités. Simplement à informer d’une alternative à l’immobilisme diplomatique qui frappe les grandes puissances sur la question syrienne.

Article rédigé par Stéphane Chopin.

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